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Bibliothèque Solvay

Restaurer une oeuvre d'art, c'est chercher à comprendre l'esprit qui a dominé lors de sa création. Nous avons pris un réel plaisir à dialoguer avec les architectes qu'un autre siècle avait formés.

Dessiné par les architectes Constant Bosmans et Henri Vandeveld et inauguré en 1902, l’Institut de Sociologie Solvay est l’un des vestiges les plus prestigieux du parc Léopold. Abandonné et vandalisé pendant plusieurs années, ce bâtiment classé en 1988 a retrouvé sa superbe en 1995 après une campagne de restauration menée par les architectes Deleuze et Metzger. 

Le rez-de-chaussée et l’étage ont été restaurés à l’identique sur base des méthodes de travail et des plans de 1900 et aussi grâce au concours d’artisans qualifiés pour les boiseries, vitraux, faux-marbres et toiles marouflées.
Le sous-sol a par contre subi une transformation contemporaine, fonctionnelle par sa polyvalence et respectueuse de l’esprit des architectes de l’époque. Cette grande “église laïque” abrite aujourd’hui un centre de congrès.

Depuis lors, une campagne de restauration des façades et toitures est venu compléter et parachever ce travail minutieux. La phase I consistant à restaurer les façades fut achevée en 2006. La seconde phase concernant les toitures s’est terminée en 2012. 

Comment avez-vous obtenu ce projet ?
F.M. - « Le démarrage est assez curieux. A la fin des années '80, Georgette Verdickt de la SDRB  assiste à la présentation de mon mémoire de fin d’étude et me demande ce que je vais faire après. A l'époque, je travaillais déjà avec Luc Schuiten depuis 2 ans. Une maison sise 40 rue aux Laines est le premier projet qu'elle nous confie. Suite au retentissement de ce projet, elle m'en propose un autre, toujours via la SDRB. Il y a 8 projets phares dont « Le Cheval noir », la place des Martyrs et la Bibliothèque Solvay. J'envoie mon CV et je propose ma candidature pour le projet pour lequel j'ai le plus de chances d'être retenu, c'est-à-dire Solvay ! Il y a d'autres candidats pour ce projet mais c'est moi qui l'ai obtenu, sans doute parce que les autres étaient classés très contemporains et ne présentaient pas toutes les garanties pour une restauration ! J'étais en quelque sorte le candidat par défaut ; j'avais uniquement travaillé sur la restauration du bâtiment de la rue aux Laines! A 30 ans, associé avec Luc Deleuze, j'étais en charge d'un projet d'une certaine ampleur ; un projet difficile, avec la SDRB qui n'avait encore jamais fait de restauration. Le bâtiment était en outre dans un piètre état. Vandalisé et ouvert à tout vent, il n'y avait plus ni lumière, ni couleur. Tout ce qui avait un peu de valeur était parti. Situé dans un parc (Léopold) et dépourvu de toute protection, il avait fait le bonheur des pillards ».

Comme premier projet de restauration, on peut imaginer pire !
F.M. - « Il était tout simplement passionnant et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce qu'il  était prévu pour le Garp et qu'il nous a permis de rencontrer Isabelle Stengers et d'autres grands scientifiques, des personnages farfelus mais géniaux qui envisageaient d'y implanter une médiathèque scientifique. L'autre élément intéressant était le bâtiment lui-même, un bâtiment mal connu et qui allait nous permettre de mettre en place une méthode avec une obligation de résultat. Il s'agissait pour nous de mettre en place une philosophie de restauration.

Le rez-de-chaussée allait être restauré presqu'à l'identique tandis qu'au sous-sol, le Garp souhaitait de grands volumes avec une utilisation maximale des caves (...) En début de chantier, le Garp s'est retiré, nous n'avions donc plus d'utilisateur final, ce qui a posé quelques difficultés car il a fallu corriger le projet pour qu'il soit le plus polyvalent possible. D'un autre côté, cela nous a permis de ne pas positionner le bâtiment de façon trop fonctionnaliste ».

Une des grosses difficultés du chantier a été de retrouver des matériaux identiques.
F.M. « Effectivement, les matériaux sont même plus difficiles à trouver que les artisans ! L'acajou de Cuba n'existant plus, nous avons dû nous rabattre sur un acajou de remplacement. Les verres pour les vitraux ont aussi posé des problèmes. On en a trouvé certains dans les collections des vitriers d'art, mais la quantité est souvent limitée. Les verres que nous n'avons pas retrouvés, ont été remplacés par d'autres dont la marque a été maintenue visible afin d'être facilement identifiable, ce qui correspond à la philosophie générale de la restauration. Dans le même ordre d'idées, l'ascenseur que nous avons ajouté, a été implanté à la place où il figurait sur les plans d'époque ».

Comment s'est déroulé le chantier ?
F.M. « Le chantier a duré 18 mois alors que la construction du bâtiment originel n'en avait pris que 12! Mais je me suis rendu compte qu'il avait été mal construit, trop rapidement et par des artisans qui n'étaient pas nécessairement tous qualifiés... Le restaurateur des faux-marbres qui travaillait pour nous, m'a d'ailleurs fait remarquer qu'il pouvait faire beaucoup mieux que l'original, assez bâclé de son point de vue. J'ai dû l'en dissuader! Notre rôle est de tenir le cap même si nous disposons aujourd'hui d'artisans hyper qualifiés».

Le chantier terminé, votre mission n'a pas pour autant pris fin.
F.M. « En effet. Solvay est un projet qui continue. L'utilisateur final n'est arrivé que 2 ans après la fin du chantier et il a fallu procéder à quelques petites modifications de confort (au niveau des portes notamment). En plus, tous les ans on procède à l'entretien du bâtiment sur base du carnet d'entretien que nous avons établi. En matière de restauration, on poursuit avec de petites interventions çà et là, on peaufine la décoration en fonction des découvertes, comme par ex. au niveau des teintes et des dorures.

Par ailleurs, ce qui est plaisant, c'est que le bâtiment vit pleinement aujourd'hui : il est loué plus de 200 jours par an. Mais, il faut l'entretenir, il est fragile et s'abîme. A l'origine, il s'agissait d'une bibliothèque secrète ; une sorte de cathédrale de silence. Aujourd'hui, les animations succèdent aux cocktails, conférences et autres événements (dont les Journées du Patrimoine, avec toujours autant de succès). La Bibliothèque Solvay est un projet important : c'est notre premier projet, il nous a construit en tant que savoir et méthodologie ».

La question de la compétence revient régulièrement dans votre approche de l'architecture. Vous parlez de l'architecte comme d'un chef d'orchestre.
F.M. - « Face à un projet, je n'ai pas d'état d'âme, ou plus exactement  je me dis que je serai capable de le faire. Je n'ai jamais craint un projet. Etre compétent sous-entend comprendre l'œuvre, avoir une connaissance des techniques appropriées et être capable d'établir des prescriptions. Pour ce faire, je multiplie les discussions avec les artisans pour comprendre la manière de faire. Ici, avec Majerus pour les vitraux très complexes ou avec le ferronnier pour savoir comment on construit ce garde-corps. Je passe beaucoup de temps avec eux afin de comprendre exactement ce qu'est l'objet que j'ai en face de moi. C'est alors seulement que l'on peut se rendre compte de la qualité des matières et des capacités techniques. L'architecte est comme un chef d'orchestre... mais incapable de jouer des instruments ! (...) Aujourd'hui, je sais qu'on est toujours incompétent en la matière. Le nouveau chantier est un chantier que je ne connais pas. Croire qu'on sait beaucoup de choses est déjà un handicap. Il ne reste que la méthode. Seule la méthode compte car le savoir est toujours autre. Il faut avoir un très bon carnet d'adresses pour savoir où trouver les gens compétents. Le danger est de se croire compétent. Quand on démarre un nouveau projet, on reprend une feuille blanche avec celui qui va vivre le lieu. On taille toujours le costume sur mesure. Ce que j'ai appris, c'est que même quand on ne connaît pas grand-chose, ça peut ne pas être très grave. L'architecte est essentiellement une éponge. Il se construit avant de construire l'édifice ».

Comment envisagez-vous les interventions contemporaines dans des bâtiments anciens ?
F.M. « L'architecture est un rapport entre un lieu et un travail. Le lieu peut être un terrain vague, un bâtiment, etc... C'est en fonction du lieu que l'architecte intervient. S'il s'agit d'un terrain vierge, on va nécessairement le modifier. Par contre, face à un édifice de Horta, Polak ou Van de Velde, il faut faire preuve d'un certain respect, pour comprendre et intervenir sur l'œuvre en écho, en référence. Comme si, dans un roman inachevé, on devait écrire les 100 pages qui manquent. Il n'est pas question ici de frustration mais de recherche d'écriture, de dialogue avec un architecte qui n'est plus là. C'est un peu comme si la première ligne c'était lui, la deuxième c'est nous, la troisième ce sera  l'architecte suivant ! »

Comment gérez-vous le fait de faire à la fois des constructions neuves et des restaurations ?
F.M. : « Je n'ai pas le sentiment de pratiquer deux métiers mais de faire la même chose, c'est-à-dire un travail entre un lieu et un programme. C'est en fonction du lieu que notre intervention va être différente. S'il s'agit d'un bâtiment de Victor Horta, il faut essayer de comprendre de qui a été fait et pourquoi ça a été dessiné comme ça. Après, il nous appartient de compléter  l'œuvre. C'est ce que nous avons fait pour la gare Centrale. L'idée générale est d'imaginer à partir d'un morceau d'architecture ce que pourrait être le projet global. C'est le lieu qui nous oblige à travailler dans un sens ou dans l'autre. Sur la ligne du temps, il y a un avant, puis il y a 'nous' et il y aura un après. On intervient toujours comme un architecte d'aujourd'hui avec une sensibilité différente par rapport à l'œuvre existante. Le tout est d'intervenir en résonance avec le lieu afin que se dégage un sentiment de cohérence, comme si l'œuvre avait toujours été comme cela. Ce qui n'est possible que si on a pu accéder au 'mode d'emploi'. C'est pour cela que je compare volontiers l'architecture à des matriochkas ; l'architecture c'est comme un roman dont il faut compléter la part manquante. Le lecteur doit avoir une cohérence même si les 200 premières pages ont été écrites par quelqu'un d'autre. Ou bien on travaille sur le contraste ; c'est également une attitude possible ».

Fiche technique

  • ObjetMission de restauration des façades et de la toiture de la bibliothèque Solvay
  • ProgrammeRestauration de l'ancien bâtiment de l'Institut de Sociologie Solvay 
  • DestinationPublic
  • Maître de l'ouvrageSDRB
  • Superficie2 217 m2
  • Datede 2004 à 2012
  • LocalisationParc Léopold - Rue Belliard 137, 1040 Bruxelles

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